"Bonjour, cher neveux !"

Takumi marchait lentement dans les couloirs, il allait à son premier cours de la journée à reculon, à vrai dire. Après avoir appris ce qu'il avait appris sur cette heure d'horreur qu'Heichi avait passé hier, il avait perdu goût en tout. Il se mettait à sa place, et se sentait totalement inférieur à tout et tout le monde. Il avait une main cela dit paisible, posée sur son sac à bandoulière, comme s'il se méfiait des élèves qu'il croisait. Plus le temps passait, plus il tombait dans la paranoïa.
Titubant comme un homme ivre au cours du couloir, il ne voyait pas vraiment où il allait, et s'en fichait pas mal, jusqu'à ce qu'il bouscule un professeur. Ou plutôt une professeur ; une jeune femme au long manteau beige, au visage angélique, au cheveux soignés, et au corps bien mince, l'air frêle. Les yeux de takumi s'équarquillèrent sur cette magnifique femme, à qui il sourit joyeusement.

Hyoon regardait attentivement le jeune homme qui venait de la bousculer. Si ça n'avait pas été son neveux, elle se serait excusée, et aurait passé son chemin en baissant maladroitement la tête, comme elle le faisait souvent. Il souriait. Cela faisait quelques temps qu'elle n'avait pas vu son neveux, ce jeune homme qu'elle considérait comme son fils et qu'il considérait comme sa mère. C'était la première fois depuis la rentrée qu'elle le croisât. Durant les vacances scolaires, elle était encore en Corée-du-Sud, et Takumi avait du venir la voir, mais il avait eu un empêchement. Qu'importe, de toutes manières, elle aurait été débordée par son travail - duquel elle s'était faite suspendre - et ils ne se seraient pas vu plus.
Bonjour, cher neveux !

A cette parole, Takumi répondit par un sourire poussé à l'extreme. Même à Heichi, il n'en avait jamais arboré de la sorte. Il admirait sa tante avec ferveur. Cela faisait un moment qu'il ne l'avait pas vu, plus de deux mois, bientôt. Sa magnifique tante de laquelle il était si proche. Sa magnifique tante qu'il considérait comme sa confidente, et comme sa meilleure amie avant tout. S'il avait du chagrin, elle avait toujours été la pour le consoler en l'enlaçant tendrement, ou en lui jouant son morceau de piano préféré. Car effectivement, en plus d'être professeur, elle ne se contentait pas que de l'être, mais avait été une grande pianiste dans le milieu, en Corée. Takumi était fier de sa tante comme jamais personne ne le serait. Cette complicité que les deux arrivaient à garder au fil du temps était dû au fait que Takumi avait toujours été là lors des moments durs de sa tante, et elle aussi. Elle lui confiait tous ses secrets, et il savait tout d'elle.
Tantine ! Tu m'as manqué, si tu savais !
Il laissa son sac à bandoulière s'écraser au sol, puis câlina sa tante - que oui, il surnommait ''Tantine'' - avec passion.

Hyoon fut agréablement surprise du geste de son neveux, et en profita pour l'enlacer à son tour. Cela faisait si longtemps !
"Tantine"... Cela fait bien longtemps que l'on ne m'avait pas appelé de la sorte, mon grand ! Tu m'as aussi manqué, Tak' !
Hyoon semblait angoissée. C'était le premier jour qu'elle enseignait. Ses élèves allaient-ils s'interesser à elle et ne pas laisser sa matière de côté ? Elle l'esperait. Tout au moins, là-bas, en Corée, ses élèves étaient tous captivés par son talent, lorsqu'elle avait enseigné ! Elle esperait vraiment que cela se déroule de la même manière ici, au Japon. Elle décida de faire part de cette angoisse à Takumi :
Oooh... dans une heure, j'ai mon premier cours ! Si tu savais comme je stresse ! je... je ne vais peut-être pas être à la hauteur, qui sait ?
Elle regardait son neveux dans les yeux, et avait envie de s'enfuir vers l'aéroport pour attraper le premier avion en partance pour la Corée du Sud. Elle avait beaucoup de mal à se faire à la vie japonaise, et ne se sentait plus chez elle.

Takumi n'aimait pas voir sa tante dans cet état. Il la connaissait si bien qu'il savait ce dont à quoi elle pensait ; elle voulait retourner à Séoul, c'était sûr ! Il la regarda intensément dans les yeux, le regard profond, puis trouva de quoi dire :
Tu seras parfait, Tantine ! Aies confiance en toi, tu verras !
En disant cela, il tenait les maigres bras de sa tante dans ses mains, et les secouait comme pour lui faire prendre conscience. La pauvre devait se sentir totalement bousculée !
Takumi était vraiment heureux de voir sa tante ici. Elle lui avait bien dit qu'elle viendrait enseigner à Janghwa, mais il ne s'attendait pas à la bousculer comme ça, dans les couloirs.

A ces mots, la confiance que Hyoon avait en elle remonta. C'est fou ce que parler avec Takumi ne serait-ce que quelques minutes avait le don de la rendre joyeuse -et il en allait de même pour Takumi.
Elle regarda sa montre, puis sursauta alors :
Oh, zut ! Je dois aller rendre de la paperasse au bureau... tu comprends, je suis nouvelle, l'administration n'attend pas - elle avait un air complétement lasse et blasée. Je vais t'abandonner, là, mon grand !
Elle sortit de son sac (à bandoulière, bien sûr !) un agenda qui semblait bien rempli.
Mangeons ensemble, disons... demain ?! Tu me raconteras un peu toute ta petite vie ! Mine de rien, il a bien dû s'en passer des choses, en plus de deux mois... hein, Tak' ?
Il acquiessa joyeusement, puis elle lui serra la main -étrange, pour une femme, de serrer la main à un homme ! Là était son côté imposant de garçon manqué qui ressortait - puis continua son chemin vers le bureau administratif.

Heichi passa dans le couloir pour se rendre à la bibliothèque, il comptait enfin lire son livre emprunté. Il avait de grandes cernes noires. Il avait fait beaucoup de cauchemar notamment sur les scènes d'hier. Il se revoyait contre la table, se faire embrasser, déshabiller.

Heichi, perdu dans ses pensées percutta une professeur qu'il n'avait pas vu à cause de sa tête baissée.

Pardon...

Heichi rougit en regardant le visage de la jeune femme. Il se sentait gêné et maintenant, il se méfiait des professeurs.
Etourdit, il n'avait pas vu Takumi derrière lui.

Heichi venait de bousculer Tantine. Décidément, la pauvre ne savait plus où elle allait, à force de se faire bousculer ! Il n'y avait personne dans les couloirs, à part lui et sa tante. Cela était d'ailleurs bien étonnant !
Takumi regardait Heichi, qui était dos à lui. Il était si mignon, même de dos. Il s'était promis que l'orsqu'il le reverrais, il le serrerais fort dans ses bras.
Il courrut vers lui, puis s'agglutina à son dos. Il posa sa tête sur son épaule, puis lui dit alors, enthousiaste:
Heichi !

Takumi interrompit l'etreinte, puis regarda Heichi. Il fixait Hyoon d'un oeil suspicieux.
Ne t'en fais pas, c'est ma tante, une nouvelle professeur de musique. Elle ne dira rien, si elle nous voit ensemble...
Il disait cela avec une telle assurance qu'on aurait dit qu'il avait une idée derière la tête. Et effectivement, il en avait une ; il parlerait à sa tante de sa relation avec Heichi, car il ne se confiait qu'à elle, et il avait besoin de dire à quelqu'un à quel point son ami était extraordinaire.

Takumi regarda Heichi, puis sa tante qui s'éloignait vers le bureau d'administration. C'est sûr, il lui parlerait de Heichi, lorsqu'ils mangeraient ensemble. La sonnerie venait de retentir et avait vrillé les oreilles du pauvre Takumi.
Allons en histoire, mon grand !
Il commença à s'engager vers la salle de cours, puis en marchant aux côté s d'Heichi, il dit alors :
Alors, tu as commencé à lire le livre de Murakami dont je t'ai parlé ?

Takumi suivit Heichi et tous deux marchaient côtes à côtes comme de simples amis. Qui pouvait se douter que ses deux là s'échangeait quelques baisers lorsqu'ils étaient seuls ?
Lorsque Takumi lui demanda s'il avait lu son livre, il se senti stressé pendant une courte seconde. Il n'arrivait pas à avoir la tête à lire en se moment.

Non je n'ai pas lu le livre encore. Désolé... Je compte le lire pendant l'heure d'étude de vendredi après midi.

Heichi regarda Takumi. Parler d'un livre qu'il n'avait pas commençé était une sorte de blasphème pour lui.

Takumi regarda Heichi. Vendredi ? Il commencerait à le lire vendredi ? Non, Heichi devait le commencer au plus tôt, pour voir le mot de son frère jumeau. Takumi l'y insita alors ;
Tu devrais le lire au plus vite, il est vraiment génial !
Il réfléchis, puis ajouta à ses paroles :
Oh, cela te derrangerais de me le montrer ? J'aimerais te faire voir le passage que je préfère !
A vrai dire, il n'en avait pas, de pasage préféré, mais c'était le seul pretexte qu'il avait trouvé pour qu'il découvre le mot d'Akimitsu.

Takumi ne savait que trop bien ce qu'il était écrit sur le morceau de papier. Il fut ravi de voir que Heichi l'avait lu, et se avait l'impression d'avoir fait une bonne action.
Gêné, il regarda sa montre, et dit alors à Heichi :
Oups, dépêchons-nous, ou nous allons être en retard... !
Il se fichait en réalité, pas mal d'arriver en retard, d'aller en classe ou non, mais en disant cela, il n'aurait au moins pas à montrer son "passage favori".